Nous avons rencontré Olivier Dauvers, rédacteur en chef des Editions Dauvers et expert de la GMS, des supermarchés et de la grande distribution.Olivier Dauvers, notre interview
« En période d’hyper-inflation, il faut travailler son image-prix pour se différencier »
Interview Olivier Dauvers
Été 2022. Entre deux canicules, Olivier Dauvers se rend dans nos locaux parisiens. La rencontre entre la star de la grande distribution et l’équipe de Too Good To Go est mémorable.
Sa présentation invite à la discussion et partout dans les couloirs de notre co-working, les débats s’ouvrent ; le bio, les prix, le rôle de la GMS, tout est sujet à discussion. Il aurait pu rester un jour entier que des questions auraient encore été en suspens. Mais l’heure tourne et le journaliste au look rock’n’roll dans ses mythiques chemises à motifs, doit partir.
Cependant, avant de fermer la porte, il promet « je prends toujours le temps de répondre aux questions, des journalistes comme des étudiants ! ». Message reçu Olivier, appelons-nous alors !
Après avoir été rédacteur en chef chez Linéaires vous avez créé les Éditions Dauvers il y a tout juste 20 ans, et êtes devenu, depuis, une référence pour le monde de la GMS. D’après vous, qu’est-ce qui a fait votre succès ?
O.D : En effet, j’ai quitté Linéaires dans une quête de liberté, car je préférais être petit patron que grand salarié. Mais depuis toujours, deux choses m’animent.
D’une part, un goût immodéré pour le « carrelage », le magasin en d’autre terme, car c’est véritablement là que tout se passe. Cette passion me donne une capacité à passer du temps en magasin qui est du temps de plaisir et non pas du temps de travail. Dit autrement, je fais de mon métier une distraction. Et c’est totalement assumé.
Et d’autre part un goût tout aussi immodéré pour la liberté de pensée et d’analyse. Je ne cherche pas à plaire, mais plutôt à dire ce qu’est la situation du commerce, des acteurs, de leur stratégie et en ne me refusant aucune analyse, même les plus désagréables, à la seule condition qu’elles soient argumentées.
Au regard de votre expérience, quelles ont été les grandes évolutions de la GMS de ces dernières années ?
O.D : Je dirais 3 évolutions principales.
La première, c’est que le magasin a vu arriver un concurrent qu’il ne connaissait pas (et qui était presque inenvisageable il y a 20 ans ! ), et qui pourtant aujourd’hui, est meilleur que lui dans bien des compartiments du jeu. Il s’agit de l'e-commerce. Sur certains marchés, le magasin est même devenu le challenger alors qu’avant, il était le leader omnipotent.
En second point, je dirais la spécialisation permanente : aujourd’hui un magasin, pour justifier d’une valeur auprès du client, doit apparaître spécialiste. Le généraliste par principe perd en intérêt, car à force d’être « bon en tout », on finit par être vu comme « bon en rien ». La spécialisation est devenue un moteur de l’innovation commerciale. Par exemple, le succès d’un enseigne comme Grand Frais, c’est précisément d’avoir été le premier spécialiste du frais, avant tous les autres. D’ailleurs, toutes les formes de vente que l’on voit émerger aujourd’hui sont des forces de ventes spécialisées et non plus généralistes, c’est un phénomène relativement récent.
Finalement, le troisième phénomène, c'est l’absence de réinvestissement de beaucoup de commerçants dans leurs actifs. Aujourd’hui, dans le cadre alimentaire, les indépendants comme Leclerc ou Système U, par exemple, ont réinvesti régulièrement dans leurs actifs alors que les groupes intégrés, Carrefour, Casino, Auchan ou encore Cora ont peu investi. Cependant, dès lors que vous ne réinvestissez pas, le magasin finira par perdre de la valeur. Sur le temps long, la différence de qualité d’actifs est frappante.
La ligne de partage se voit aujourd’hui entre les indépendants d’un côté, pour lesquels il s’agit de leur patrimoine personnel, et les intégrés de l’autre.
Je vais prendre un exemple : Thierry Cotillard, adhérent Intermarché à Issy les Moulineaux. Il vient de refaire totalement son magasin, a investi 1 million d’euros, juste pour faire 5 % de croissance. Quand on lui objecte que c’est peu, vous savez ce qu’il répond ? Que c’est le prix pour maintenir la valeur de son actif. Et il a raison !
D’après vous, quelles innovations sont à retenir dans le secteur de la GMS ?
O.D : Je vois spontanément plusieurs innovations, mais qui sont toutes sur le même sujet : la disparition de la caisse.
La caisse dans le magasin, c'est probablement le lieu le plus anxiogène. C’est le lieu où l'on paye, ce n’est donc jamais une partie de plaisir ! Dans l’idée, la caisse pourrait être un moment de relationnel positif, mais dans la réalité ça ne l’est pas. Donc le transfert progressif de l’acte vers le consommateur a du sens, car on fait disparaître un irritant potentiel.
Sur le long terme, on peut imaginer ce qu’a fait Amazon : faire disparaître le principe même de la caisse. Avec leur technologie, on suit la personne avec des caméras et chaque geste est tracé, on sait ce qu’il met dans son panier, on connaît son code de fidélité et on le débite. On arrive à faire disparaître totalement l’étape même de l’encaissement, cela s’appelle le « just walk out shopping ». C’est l’émancipation du consommateur.
Mais est-ce que ce genre de pratique ne pose pas de problèmes d’éthique, puisque, par exemple, le consommateur ne connaît pas le prix final de son panier ?
O.D : Dans le libre-service, le premier mot, c'est « libre ». Un exemple, à l’époque des vidéos clubs automatiques, ce qui a fait leur succès, outre l’accessibilité aux produits, c’était la liberté d’achat : on pouvait louer des films pornographiques librement et sans jugement ! Pour remonter encore plus loin, nos parents ou grands-parents ont fait disparaître les pompistes ou encore les guichetiers de banque, car quand vous avez un distributeur automatique, vous allez récupérer du liquide quand vous voulez et où vous voulez.
Le libre-achat, c’est une véritable forme de liberté quand on accepte de le regarder de manière dépassionnée. C’est aussi pour ça qu’il concerne l’ensemble de la consommation !
D’après vous, qu’est-ce qui, aujourd’hui, fait le succès d’une enseigne ?
O.D : La clef de succès aujourd’hui, c’est la préférence. Dans une économie de commerce qui est sur-capacitaire, c’est le « pourquoi » on va aller vers une enseigne plutôt qu’une autre.
Il existe 4 leviers de préférences :
En premier, l’offre c’est-à-dire “je vais aller dans un magasin, car sa réponse à mes besoins va être la plus précise et originale possible”. Cela met en exergue la capacité du commerçant à construire son enseigne d’une manière proactive pour que l’offre soit source de différenciation.
Le deuxième levier, c'est la nature du lien qui unie le commerçant avec le client ; la proximité au sens affinitaire. Qu’est-ce qui fait que je me sens proche d’une enseigne ? C’est ce que l’on appelle, le parc type d’enseigne.
L’image prix de l’enseigne est le troisième levier. Mais l’image prix ce n’est pas le moins cher, mais c’est celui qui va me donner le plus de valeur pour les euros que je vais dépenser.
Enfin, c'est ce que j’appelle la « shopping experience ». La visite d’après, se prépare dès la visite d’avant, donc l’expérience vécue avec l’enseigne est primordiale. L’ensemble des irritants perçus va avoir un impact sur l’image qu’on se fait de l’entreprise.
Bien que l’image de marque puisse être un vecteur de ces leviers, c’est l’offre en magasin qui, finalement, va faire la différence. Dans tous les cas, je vous renvoie à mon prochain ouvrage qui sort dans quelques jours « Comment devenir le commerçant préféré de ses clients » !
Vous avez des invendus alimentaire ?
Selon vous, quelles sont les enseignes qui aujourd’hui font la différence sur l’exécution en point de vente ?
O.D : Les indépendants, incontestablement ! Car leur agilité est plus grande, leurs niveaux d’implications sont plus forts, de ce fait, la qualité dans l’exécution est meilleure. L’image est la suivante : quand on travaille pour soi, on se donne plus de mal que quand on travaille pour quelqu’un d’autre. C’est logique finalement.
Quelles bonnes pratiques adopter pour son enseigne dans un contexte d’hyper-inflation ?
O.D : Au regard du contexte actuel, un des quatre leviers de préférence que je vous citais est particulièrement important ; c’est l’image prix.
Car lorsqu’un client est inquiet des prix et de sa capacité à satisfaire ses besoins, il a, par principe, besoin d’être rassuré. Ce critère-là est en train de revenir en haut de la pile. En réalité, il n’y a pas eu de crise de la consommation, mais le consommateur va plus qu’avant se diriger vers les enseignes qui lui semblent être des alliés dans les arbitrages prix. Concrètement, ça consiste en, d’une part, rassurer sur les prix et d’autre part, donner de la valeur aux prix. Par exemple, mettre en avant le fait que la salade vendue est locale, c’est un moyen de lui donner de la valeur et ce sont des éléments de réassurance pour le consommateur.
Aujourd’hui, 40% de la nourriture que nous produisons est gaspillée. En Europe en 2016 5% de ce gaspillage se faisait au niveau de la distribution et 53% au niveau des foyers. La GMS a-t-elle un rôle à jouer dans la crise climatique ?
O.D : Oui, les enseignes ont même deux responsabilités dans la crise environnementale.
La première, c’est d’être des facilitateurs de la transition environnementale du consommateur. C’est-à-dire de ne pas lui imposer, mais de l’aider à choisir ses produits. Par exemple, en mettant en avant les fruits et légumes de saison, ou encore en donnant l’empreinte carbone de certains produits.
La seconde, c’est d’être dans l’action, la main-d’œuvre. Arrêter le gaspillage alimentaire est essentiel, mais cela signifie aussi arrêter les communications en magasin sur le retrait anticipé des produits. Les enseignes devraient renoncer à ce sujet de communication qui implique de jeter les produits à peine arrivés sur les rayons pour être « plus frais que frais ».
Vous dirigez le Think Tank des Echos sur la transition agroalimentaire dont vous avez présenté le livre blanc le 30 Juin dernier. Quelles sont, pour vous, les leçons à tirer de ce travail ? Et quelles en sont les priorités ?
O.D : La priorité, c'est l’interdépendance entre les maillons de la filière : aucun des maillons de la filière alimentaire ne pourra, seul, produire un effet qui aura suffisamment d’impact. Cela se matérialise par deux axes de travail qu’il faut mener de manière concomitante ; la modification de l’offre et de la demande.
Il faut que se développe une offre agricole bas-carbone. Pour cela, il faudrait redonner une valeur agroécologique à la Terre. C’est-à-dire, que dans la valorisation d’une terre agricole, en plus de la surface, la qualité soit intégrée. Quitte à pénaliser les agriculteurs qui revendent leurs terres avec une moins bonne analyse des sols qu’à l’origine.
En regard de ça, il faut une modification de la demande. Car l’offre et la demande vont finir par s’auto-influencer ; si l’offre bouge, la demande bouge et vice versa.
Pour modifier la demande, on peut prendre deux cas de figures.
Dans le premier, on pourrait travailler sur un système de bonus-malus. Par exemple, les produits bas-carbone sur le marché, pourraient être bonifiés de quelques centimes et, à l’inverse, les produits coûteux pour l’environnement pourraient être pénalisés de quelques centimes. Cette balance de prix est un puissant levier de modification de la demande.
Dans le second cas de figure, on pourrait rendre obligatoire un affichage environnemental. De la même manière que les produits portent un Nutriscore, ils devraient aussi y avoir un score environnemental pour aider le consommateur à choisir. En effet, le Nutriscore a fait ses preuves, il a généré des effets sur les ventes et sur la composition des produits, donc ça a de l’effet. Le but étant de permettre aux consommateurs qui le veulent et qui le peuvent, de modifier leur comportement.
Un grand merci à Olivier Dauvers pour son temps, n'hésitez pas à aller découvrir, ou redécouvrir son site !
Vous aussi, luttez contre le gaspillage alimentaire !
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